La vie quotidienne
Les civils ne sont pas épargnés par la guerre. Ils doivent faire face au manque de produits alimentaires, au rationnement et à la hausse des prix. Ils travaillent pour les armées, afin de produire toujours plus d’obus, de balles ou de grenades. À l’école, les enfants sont en contact direct avec le front et dévouent leurs activités aux soldats. Les familles espèrent de bonnes nouvelles à chaque réception d’une lettre ou en lisant la presse.
Vivre
Le manque de produits alimentaires
La population prend ses précautions lors du déclenchement du conflit. Consciente d’entrer dans une épreuve difficile, elle s’y prépare. Par peur du départ des boulangers et surtout par crainte du manque de pain, chacun se procure de la farine et fait des réserves… Malgré cette prudence, de nombreux aliments manquent : ils sont réquisitionnés en priorité pour l’armée ; d’autres ne parviennent pas jusque dans les villes à cause des attaques sous-marines. L’État prend donc rapidement des décisions pour économiser les rations. Dans la Vienne, en 1917, plusieurs décrets réglementent la vente et la consommation de la viande. On fixe deux jours sans viande : pendant ces deux journées, la vente ou la mise en vente de la viande fraîche, congelée, salée ou en conserves est interdite. Il est également prohibé de servir de la viande dans les restaurants ou hôtels. Les lieux de vente habituels, boucheries et charcuteries sont fermés pendant ces deux jours. À Poitiers, la municipalité distribue aux indigents des bons de nourriture, principalement pour la viande et les légumes.
Pour compenser le manque de certaines denrées, on leur en substitue d’autres : la margarine remplace le beurre, et la chicorée, le café. On mélange des pommes de terre à la farine pour fabriquer du pain. Dans les Deux-Sèvres, le cidre supplée au vin. La viande congelée fait son apparition, non sans susciter quelques méfiances de la part de la population.
Le rationnement
À La Rochelle, le maire annonce, en décembre 1917, que la quantité de farine mise à disposition de la ville est en baisse. Pour cette raison, chaque consommateur doit choisir un boulanger unique et ne pas en changer. Le maire souhaite ainsi contrôler la consommation du pain. En plus de ces décisions, des bons d’approvisionnement sont délivrés en échange de bons de consommation. Le titre permet aux détenteurs d’obtenir un produit dans une quantité précise.
Pour le rationnement, la population française est répartie en six catégories : les enfants, les adultes, les jeunes, les travailleurs, les cultivateurs et les vieillards. Ce système est instauré en 1916. Il définit les quantités de sucre, de pain, de viande, de beurre ou de lait attribuées à chaque catégorie. Les files d’attente sont longues, d’abord pour obtenir sa carte de rationnement, ensuite devant les magasins auxquels sont affectés les civils.
La hausse des prix
Face au manque de denrées, les prix augmentent. À Angoulême, les habitants subissent une majoration de 200 % sur la boucherie, la charcuterie ou les légumes, 100 % sur la volaille, le beurre ou le fromage. Les combustibles tels que le bois, la houille ou le charbon de bois sont majorés de 300 %. À Cognac, le prix du kilo de viande qui variait de 1,40 F à 2,40 F en 1914, double en 1916, fluctuant entre 2,40 F et 4,50 F. Les 50 kilos de pommes de terre passent de 4 F en 1914 à 8 F en 1916.
- Affiche sur le rationnement du pain dans la ville de La Rochelle. (Archives municipales de La Rochelle 2Fi 6407. )
- Arrêté du préfet de la Vienne réglementant la consommation de viande, 1917. (Archives départementales de la Vienne 6 M 90.)
- La hausse des prix entre 1914 et 1916, d’après les carnets d’instituteurs de Charente. (Archives départementales de Charentes 4 Tp 481. www.archives16.fr)
Travailler
Le travail à l’usine
Lorsque le conflit éclate, le gouvernement français est convaincu qu’il livrera une guerre courte. Pourtant, très vite, il faut produire une forte quantité de matériel, avec moins de bras. Ainsi, en plus des usines d’armement, les entreprises d’alimentation, de textiles et de vêtements travaillent pour l’armée. En effet, les armements initiaux sont insuffisants : il faut plus d’obus, plus de balles, plus de grenades. La production d’obus doit passer de 75 000 à 100 000 par jour. Le gouvernement français engage un vaste programme d’armement réclamant une main-d’œuvre nombreuse et qualifiée.
Pour atteindre cet objectif, certaines entreprises réclament qu’on leur rende leurs ouvriers. En 1915, environ 500 000 soldats sont rappelés du front ou directement mobilisés dans les usines d’armement. Par la suite, l’armée se refuse à d’autres libérations. Le volume « d’affectés spéciaux » demeure stable mais insuffisant.
On cherche donc une autre main-d’œuvre : les femmes sont appelées en masse en 1915, ainsi que les ouvriers trop âgés pour être mobilisés, les travailleurs coloniaux et les prisonniers de guerre. La mobilisation des femmes n’est pas une surprise : elles travaillaient déjà dans les usines textiles ou les mines de charbon bien avant la guerre, et leurs compétences sont alors transférées vers la métallurgie.
Les entreprises face à l’effort de guerre
En Poitou-Charentes, les quatre manufactures d’État liées aux armées fonctionnent évidemment à plein rendement. Entre 1913 et 1918, les effectifs de la manufacture d’armes de Châtellerault et de la fonderie de canons de Ruelle quadruplent, passant chacun d’environ 1 400 à plus de 6 000 – dont près de 1 600 femmes à Châtellerault. Dans ces deux usines, la production se fait sans interruption 24 heures sur 24, pour parvenir à fournir un nombre suffisant de mousquetons, de fusils et de mitrailleuses à Châtellerault, et de canons, de douilles, de projectiles en fonte et en acier à Ruelle. À ces conditions, la production de la Fonderie de Ruelle passe de 4 000 obus avant la guerre à 900 000 en 1916.
Par ailleurs, sur la cinquantaine d’usines métallurgiques de la région, la quasi-totalité travaille pour la Défense nationale, en fabriquant notamment des obus (de 75 et de 37 mm), des bombes… Ces entreprises emploient, en plus de la main-d’œuvre féminine, des ouvriers militaires, ainsi que des professionnels réfugiés des régions du Nord. Les salaires vont jusqu’à doubler durant le conflit. Parmi ces usines, certaines, implantées auparavant en zones de guerre, ont été transférées dans la région.
Des usines de produits chimiques sont également créées, loin des frontières. L’une d’entre elles établie à La Pallice, la Société Vandier, fournit 1/7e de la production nationale de mélinite, un explosif de grande puissance. Le 1er mai 1916, l’usine explose, en provoquant de gros dégâts aux habitations et aux entreprises dans un rayon de plusieurs kilomètres. L’accident fait près de 200 victimes, qui sont inhumées dans le cimetière de la Rossignolette de La Rochelle, où un monument rappelle cette tragédie.
Les Distilleries des Deux-Sèvres apportent également leur concours à l’Armée pour la production d’alcool, d’acétone et d’alcool butylique.
L’activité des autres industries est ralentie, voire stoppée, par le manque de main-d’œuvre spécialisée, par les difficultés d’approvisionnement en charbon et en matières premières, ainsi que par la quasi-impossibilité d’expédier les marchandises.
Remplacer les hommes aux champs
Lorsque le tocsin sonne dans les villages pour annoncer le déclenchement du conflit, les hommes sont encore affairés aux moissons. Les ruraux constituent plus de la moitié des hommes mobilisés. Dans la foulée de leur départ, le Président du Conseil, René Viviani, lance un appel aux « Femmes de France » afin qu’elles prennent la relève de leurs maris et pères. Celles-ci s’exécutent d’autant plus aisément qu’elles ont l’habitude de participer aux travaux des champs. Elles y sont aidées par les vieux paysans qui ne sont plus mobilisables. Au fil des mois, les femmes deviennent ces « Gardiennes » auxquelles le futur prix Goncourt 1920, Ernest Pérochon, instituteur à Vouillé, près de Niort, rendra hommage dans un de ses romans.
Dans les campagnes, les femmes fabriquent les charrois, guident des attelages, vendent les productions, signent les contrats et les baux, dirigent la main-d’œuvre. Ce sont elles qui mènent les exploitations. Les enfants aident en bêchant, en arrosant et en conduisant les animaux aux champs. Malgré leurs efforts, il est difficile de maintenir un bon niveau dans les récoltes, les bras manquent et les bêtes nécessaires pour labourer et moissonner sont réquisitionnées par l’armée. Le manque de spécialistes pour la sylviculture ou la viticulture, par exemple, se fait vite sentir. La pénurie de main-d’œuvre conduit à un plus grand recours aux machines et à l’adoption de la motoculture et du gros matériel agricole, parfois importé des États-Unis.
- L’appel de Viviani aux femmes de France, invitées à remplacer les hommes au travail dans les champs. (Archives départementales des Deux-Sèvres R 202.)
- La Fonderie de Ruelle. L’usine joue un grand rôle pendant la Première Guerre mondiale en construisant du matériel de guerre. En 1916, 900 000 obus sortent de cette fonderie. (Région Poitou-Charentes, inventaire du patrimoine culturel / Fonds Henrard, 1969.)
- Explosion de l’usine Vandier à La Pallice, en 1916. ( Département de la Charente-Maritime, Direction de la Culture, du Sport et de l’Animation, service des Archives départementales-La Rochelle – 78 Fi.)
- Dégâts causés par l’explosion de l’usine Vandier. (Archives municipales de La Rochelle 10 Fi 635.)
- Suite à l’explosion de l’usine Vandier le 1er mai 1916, un monument aux morts est construit dans le cimetière de la Rossignolette en hommage aux victimes. (Région Poitou-Charentes, inventaire du patrimoine culturel / Christian Rome, 2013.)
- Première liste des noms des victimes de l’explosion de l’usine Vandier, gravés sur le monument aux morts. (Région Poitou-Charentes, inventaire du patrimoine culturel / Christian Rome, 2013.)
- Deuxième liste des noms des victimes de l’explosion de l’usine Vandier, gravés sur le monument aux morts. (Région Poitou-Charentes, inventaire du patrimoine culturel / Christian Rome, 2013.)
Éduquer
Former des patriotes
Très vite, l’école devient un vecteur de propagande. Les enfants sont considérés comme de petits combattants de l’arrière. On leur explique que la guerre est menée pour eux. C’est un moyen de justifier l’entrée dans le conflit.
Dans la Vienne, par exemple, lors des examens, les sujets sont en rapport direct avec la guerre. Les compositions de français véhiculent un discours de foi patriotique et de haine xénophobe. La lecture du conflit est simpliste et manichéenne. Les soldats français sont toujours décrits comme braves et les Allemands comme « lâches, cupides, menteurs et cruels ». On demande aussi aux élèves de raconter des épisodes de leur quotidien, de décrire leurs conditions de vie, celle des femmes aux champs, de raconter la scène qui les a le plus marqués depuis le déclenchement du conflit. Si les examinateurs ne sont pas satisfaits d’une réponse, une mauvaise note sanctionne la rédaction de l’élève. La valorisation de la patrie prime sur la construction d’un discours intellectuel.
Des relations directes avec le front
Les élèves sont souvent invités à rédiger des lettres pour leurs pères, leurs frères partis sur le front. Les enfants donnent des nouvelles de l’arrière et réfléchissent au sens de leur lutte. Ils envoient également des colis aux combattants, contenant de la nourriture ou des vêtements, parfois tricotés par les petites filles. Grâce à ces lettres et colis, les enfants restent en contact avec la guerre : ils ne doivent pas oublier qu’elle est faite pour eux afin de défendre leur avenir. Faire un potager, élever des porcs et des lapins, ramasser des marrons pour produire de l’alcool, c’est aussi, pour les enfants, s’engager un peu dans le conflit.
- Épreuve de rédaction à l’examen du Certificat d’Études Primaires Élémentaires de 1918 (Archives départementales de la Vienne 3 T 393.)
- Épreuve de rédaction à l’examen du Certificat d’Études Primaires Élémentaires de 1918, suite. (Archives départementales de la Vienne 3 T 393.)
- Épreuve d’examen du Certificat d’Aptitude Pédagogique. (Archives départementales de la Vienne 3 T 393.)
- Composition française à l’examen du Certificat d’Études primaires de Charroux, en 1915. (Archives départementales de la Vienne 3 T 393.)
- Composition française à l’examen du Certificat d’Études Primaires de Charroux, en 1915 (suite). (Archives départementales de la Vienne 3 T 393.)
Espérer
La presse
Pour les civils, il est difficile de se tenir informé de la guerre. Durant les premières années du conflit, une politique de censure est instaurée. Tout article de presse est soumis au regard des censeurs, ils suppriment les passages jugés dangereux et notamment toute précision sur les troupes et leur emplacement, susceptible de renseigner l’ennemi. De plus, une politique de propagande est menée parallèlement à la censure. C’est souvent par le biais des dépêches officielles que les civils sont tenus informés. Mais ces vecteurs d’informations ne sont pas objectifs, ils amplifient les victoires et minimisent les replis. On fait croire aux lecteurs que tout se passe bien sur le front, que la victoire est proche et on diabolise les Allemands pour justifier le conflit.
Les lettres du front
Grâce aux correspondances, le front et l’arrière restent en contact. Pour se procurer des nouvelles, les civils sont tenus de remplir un formulaire et de le remettre à la mairie de la commune, qui se charge de livrer le courrier aux intéressés. Cependant, la censure guette. Afin d’être renseignée sur l’opinion des soldats français et d’interdire la diffusion de certaines idées au front, l’armée instaure un contrôle postal. Elle souhaite savoir si le moral des combattants est bon, et elle identifie les facteurs de démobilisation morale : lassitude, défaitisme et pessimisme. Les combattants conscients de la censure assurent donc qu’ils se portent bien, ils se veulent rassurants dans leurs descriptions des lieux et des épreuves traversées, ils expriment leur affection à leur famille. Pour passer outre la censure, certains écrivent dans un patois difficile à traduire pour les censeurs, d’autres demandent à leurs camarades en permission de poster le courrier pour eux. Malgré la banalité générale des propos, le courrier est vital pour le maintien du moral des combattants comme de celui de l’arrière.
- Le Courrier de la Vienne et des Deux-Sèvres, du 1er mai 1915. (Archives départementales de la Vienne/ Médiathèque François Mitterrand, Poitiers, image publiée avec autorisation.)
- Le Courrier de la Vienne et des Deux-Sèvres, du 8 août 1914. (Archives départementales de la Vienne/ Médiathèque François Mitterrand, Poitiers, image publiée avec autorisation. )
- Formalités à remplir par les populations pour recevoir des nouvelles du front. (Archives départementales des Deux-Sèvres R 202.)
- Carte du 3 mars 1916 de Georges Brosset à ses oncle et tante. (Collection particulière.)
- Lettre du 22 février 1918 de Jules Gradelle à ses beau-frère et belle-sœur. (Collection particulière.)